Rien de nouveau sur le contrat sans loi
Les solutions qui, depuis qu’il a été proclamé, comme un théorème, “tout contrat international est nécessairement rattaché à la loi d’un État" (Cass. civ. 21–6–1950 : D. 1951.749 note Hamel), ont admis que l’autonomie de la volonté appliquée au choix de la loi applicable au contrat international ne viciait pas la force obligatoire d’un contrat qui ne désignait pas une loi nationale, n’ont pas été, à notre avis, remises en cause par l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc. 13-1-021 nº 19-17.157 FS-P), qui juge qu’il résulte de l’intention des rédacteurs de la convention de Rome de 1980, déduite des travaux préparatoires du règlement 593–2008 (Mémento Droit Commercial, Ed. Fr. Lefebvre, Paris 2021n par la suite MDC, n°17103), que les parties ne peuvent choisir qu’une “loi“, au sens formel de ce mot (MDC n°73555). En conséquence, l’arrêt exclut le choix d’une convention internationale et, partant, le droit dérivé d’une pareille convention, tel le statut ou le règlement du personnel d’une organisation internationale (ici la Ligue arabe), qui ne constituent pas une loi au sens de l’article 3.1 de la convention, sans évoquer l’impossibilité de conclure valablement un contrat international sans loi.
Il s’agit donc d’un arrêt typiquement d’espèce qui ne rompt pas avec le courant jurisprudentiel précédent ayant écarté la rigueur du théorème rappelé ci-dessus (sur ce courant, MDC n° 16800). La Cour était, en effet, liée par l’objet du litige fixé par le demandeur (MDC n° 71910) qui avait introduit son action sur le fondement de l’article 3.1 de la convention de Rome et qui soutenait, sans la moindre allusion à l’invalidité du contrat sans loi, que la convention instituant la Ligue arabe ne correspondait pas à la « loi » visée par ledit article.
Aussi bien l’arrêt apporte-t-il, en définitive, une pierre à la validité de ce contrat, que nous défendons depuis 1974 (sur les références, MDC n° 16800) et qui est la clé de notre proposition du Modèle universel de contrat d’affaires (Ed.Fr. Lefebvre Paris 2019 Dossier pratique). En effet, même si la Cour avait retenu que la convention de la Ligue arabe et le droit dérivé de cette dernière étaient applicables, elle aurait pu et dû l’évincer au motif que selon l’article L. 1237-5 4° du code du travail, tant que le salarié n’a pas atteint l’âge de 70 ans, l’employeur doit, s’il souhaite mettre en œuvre ce dispositif, interroger le salarié par écrit sur son intention de quitter volontairement l’entreprise pour bénéficier de sa retraite, et, en cas de réponse négative ou à défaut d’avoir respecté cette obligation, l’employeur ne peut faire usage de cette possibilité. Il lui suffisait alors de considérer que cette disposition est d’ordre public international français, ce qui ne paraît pas discutable.
En revanche, il laisse entière la délimitation du champ d’application de la convention de Rome. Il est clair que celle-ci concerne les conflits entre lois des Etats membres qui sont liés par elle et qui se sont engagés pour «poursuivre, dans le domaine du droit international privé, l’œuvre d’unification juridique déjà entreprise dans la Communauté, notamment en matière de compétence judiciaire et d’exécution des jugements» (Préambule de la convention de Rome). Mais il est aussi de règle qu’un traité «ne crée ni obligations ni droits pour un Etat tiers sans son consentement» (Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur les traités internationaux art. 34) et n’a ainsi qu’un effet relatif. Dès lors, la convention est inopposable à un Etat tiers à la communauté européenne, devenue l’Union européenne. En affirmant la « vocation universelle » de la convention de Rome (art. 2), les parties contractantes n’ont donc pas pu imposer à un Etat tiers leur méthode de résolution des conflits de lois les concernant. La «vocation universelle» ne peut pas signifier l’«application universelle» entendue comme application à tout conflit de lois entre la loi d’un Etat contractant et la loi d’un Etat tiers. La «vocation universelle» n’a d’autre effet que d’imposer à un Etat contractant l’obligation d’appliquer la loi désignée applicable par la convention ; elle crée donc une obligation pour les parties contractantes et non le droit pour elles d’opposer la convention à un Etat tiers.
Barthélemy MERCADAL
Agrégé des Facultés de droit
Professeur émérite du Conservatoire National des Arts et Métiers
Ancien Secrétaire général de l’IDEF
1er novembre 2021