Le consensualisme contractuel
Depuis le 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance de réforme du droit des contrats, le principe du consensualisme est reconnu par le code civil, à travers l’article 1109, al. 1 qui consacre le contrat consensuel comme celui qui «se forme par le seul échange des consentements quel qu’en soit le mode d’expression».
Désormais sanctifié par la loi, le consensualisme qui a pris naissance en droit français sous l’influence du droit canonique au XIII ° siècle, a été pleinement établi au XVI° siècle. Il est de nos jours scrupuleusement respecté par les tribunaux, qui en ont tiré deux règles pratiques.
Tout écrit qui constate un échange de volonté peut être qualifié de contrat dès lors qu’il a pour objet des prestations déterminées ou déterminables. Les illustrations jurisprudentielles de cette règle sont multiples. Jugé notamment que recélait un contrat : un échange par téléphone (Cass. req. 14-5-1912 : DP 1913.1.281 note Valéry) ; un communiqué émanant d’un ministère (CA Paris 28-6-1977 : GP 1977.2.657) ; le cahier des charges d’une procédure de saisie immobilière (Cass. 2e civ. 2-7-1986 no 85-12.884 : Bull. civ. II no 102) ou d’une adjudication (Cass. civ. 14-1-1981 : JCP G 1981.IV.110) ; la convention entre époux réglant les effets patrimoniaux d’un divorce en dépit de son homologation judiciaire (Cass. ch. mixte 6-12-1985 : JCP G 1986.II.20646 concl. Cochard, note Bénabent et Lindon), de même que l’acte homologué de changement de régime matrimonial des époux (Cass. civ. 14-1-1997X140197-3001 : D. 1997.273 rapport Savatier) ; le règlement intérieur d’une collectivité (TGI Paris 7-5-1976 : GP 1976.2.522 : foyer-hôtel de travailleurs immigrés) ; le jugement qui constate l’accord donné, dans les mêmes termes, par une partie à l’autre sur un objet déterminé, dit contrat judiciaire (Cass. civ. 8-7-1925 : DP 1927.1.21 ; CA Versailles 6-2-1979 : GP 1980.som.88 ; cf. Cass. 1e civ. 25-6-2008 no 07-10.511736 FS-PB : D. 2008.1997.som.) ; un échange de correspondance par lettres (Cass. com. 19-1-1993 : RJDA 5/93 no 393 ; Cass. com. 29-11-1994 : RJDA 3/95 no 246 ; Cass. 3e civ. 9-5-2012 no 11-15.161 : RJDA 12/12 no 1037), par télex (Cass. com. 25-5-1988 no 86-16.366) ou par courriels (Cass. 1e civ. 11-7-2019 no 17-10.458 P ; cf. CA Paris 17-9-2013 no 12/05435 : RJDA 2/14 no 90) ; un projet de contrat non signé (CA Versailles 16-10-2003 no 02/00249 : RJDA 12/04 no 1291 som.) ; une feuille de présence à une représentation signée par un artiste-interprète (Cass. ass. plén. 16-2-2018 no 16-14.292 PBRI : RJDA 7/18 no 610) ; le règlement de copropriété des immeubles bâtis (Cass. 3e civ. 8-4-2021 no 20-18.327 FS-P) ; le cahier des charges d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) qui peut devenir contractuel par stipulation pour autrui au profit des parties qui ont acquis un terrain dans la zone (Cass. 3e civ. .4-3-2021 n° 19-22.987 FS-PR) ; une convention d’assistance bénévole (Cass. 1° civ. 5-5-2021 nº 19-20.579 FP : D. 2021.1803 note Galbois-Lehalle).
Toute expression verbale d’un consentement peut être retenue comme le signe d’un engagement contractuel, sauf s’il existe une disposition légale contraire. La preuve d’un tel engagement résulte des actes ou des comportements démontrant l’intention d’accepter de contracter. Ainsi, il a été souvent admis par les tribunaux qu’un contrat avait été conclu par un commerçant dont l’exécution lui a été imposée (Cass. 1e civ. 8-10-1963 : Bull. civ. I no 419 ; Cass. com. 21-10-1963 : Bull. civ. III no 428 ; Cass. com. 13-6-1978 : GP 1978.2.pan.374 ; Cass. com. 16-2-1988 : BRDA 9/88 p. 5 ; Cass. com. 25-6-1991 : RJDA 8-9/91 no 708 ; Cass. 1e civ. 6-1-2010 no 08-18.645 : RJDA 5/10 no 485.som. ; Cass. com. 14-1-2014 no 12-13.270 : RJDA 4/14 no 375). L’intention de contracter est souvent déduite de l’exécution des prestations du contrat invoqué (Cass. civ. 23-3-1966 : D. 1966.397 ; CA Versailles 23-9-1987 : BT 1989.562).
L’expression tacite de cette intention est aussi largement admise en droit de l’Union européenne. A tel point qu’il a été jugé, pour l’application du règlement UE 1215/2012 du 12 décembre 2012 (Règlement Bruxelles I bis remplaçant le règlement CE 44/2001 du 22-12-2000 dit Règlement Bruxelles I sur la compétence, que ne relève pas de la matière extracontractuelle l’action fondée sur une relation établie de longue date s’il existait, entre les parties, une relation contractuelle tacite ; la démonstration visant à établir l’existence d’une telle relation doit reposer sur un faisceau d’éléments concordants, parmi lesquels sont susceptibles de figurer notamment l’existence de relations commerciales établies de longue date, la bonne foi entre les parties, la régularité des transactions et leur évolution dans le temps exprimée en quantité et en valeur, les éventuels accords sur les prix facturés et/ou sur les rabais accordés, ainsi que la correspondance échangée (CJUE 14-7-2016 aff. 196/15 : RJDA 11/16 no 839 ; pour une application de cette jurisprudence, Cass. com. 20-9-2017 no 16-14.812 F-PBI : RJDA 2/18 no 188 ; CA Paris 9-9-2020 no 19/19392).
La force du consensualisme est telle qu’elle perce le mur du common law, dont un lieu commun, très tenace en France au point que des juristes d’entreprises pensent se mettre à l’abri d’interprétations excessives de la lettre de leur contrat par les juges civilistes en plaçant leur contrat sous la loi anglaise. Ils en sont, certes, excusables car il est très rare de lire chez les auteurs français une atténuation de ce credo, comme on en trouve dans l’ouvrage « Les Obligations » de Malaurie, Aynès et Ph. Soffel-Munck (n° 536 note 5) : « Ex. sur l’importance du consensualisme dans le common law, dictum de Lord Wright, in Nillas v. Arcos (1932) I.T. 503 : « … Aussi est-ce le devoir de la cour d’interpréter de tels documents conformément à la loyauté et de manière large, sans déployer trop de ruse ou de subtilité pour en découvrir les défauts . » Et, avec l’augmentation de la circulation des décisions de justice sur internet, on trouve des exemples de décisions de juges de pays de common law qui ne se sentent pas asservis à la lettre du contrat ; par exemple :
Afrique du Sud
Une clause contractuelle ne peut pas être interprétée isolément. Son interprétation doit prendre en compte l’entier contrat, y compris les annexes ainsi que le contexte dans lequel il a été élaboré (Transvaal Provincial Division Concor Holdings (PTY) LTD v. VKE Consulting Engineers (PTY) LTD (2016)).
Le processus d’interprétation ne s’arrête plus au sens littéral des termes contractuels. Le juge doit en effet interpréter ces termes en prenant également considération le contexte dans lequel le contrat a été élaboré (Intech Instruments v Transnet Ltd t/a South African Port Operations (4690/2008) [2017] ZAKZDHC 49).
L’interprétation des termes contractuels relèvent du juge et non des experts. Toutefois, les experts peuvent aider le juge dans l‘interprétation des termes techniques (Securefin Limited and Another v KPMG Chartered Accountants SA (29314/2002) [2007] ZAGPHC 130 (19 July 2007).
Le point de départ de l’interprétation d’un contrat est inévitablement les termes utilisés par les parties. Ces derniers doivent toutefois être compris en prenant en compte le contexte dans lequel il a été rédigé (Natal Joint Municipal Pension Fund v Endumeni Municipality (920/2010) [2012] ZASCA 13 ; [2012] 2 All SA 262 (SCA)).
Royaume-Uni
La partie qui s’est réservée la faculté de modifier unilatéralement un élément du contrat, en l’espèce celle de faire varier le taux d’intérêt contractuellement convenu applicable à un prêt, ne doit pas l’exercer, en vertu de l’existence d’un terme implicite (implied term) dans le contrat de prêt d’argent, de façon malhonnête, pour un usage impropre, de manière capricieuse ou malhonnête ou d’une façon que ne pratiquerait aucun créancier raisonnable, agissant raisonnablement (Paragon Finance c/ Nash : RDC 2004.483 obs. B. Fauvarque-Cosson, écartant en l’espèce un usage condamnable de la faculté d’augmentation unilatérale du taux d’intérêt par le créancier au motif qu’il rencontrait des difficultés, principalement à cause d’un nombre important de défections d’autres emprunteurs).
Barthélemy MERCADAL
Agrégé des Facultés de droit
Professeur émérite du Conservatoire National des Arts et Métiers
Ancien Secrétaire général de l’IDEF